Maurice RAVEL
Daphnis et Chloé, Suite No 2, M 57b
Orchestre de l'Association des Concerts Colonne
Pierre DERVAUX
ASDF 2003, 17 mai 1961, salle Wagram
Le ballet Daphnis et Chloé - il s'agit plus exactement d'une symphonie chorégraphique en trois parties, pour orchestre et choeurs sans paroles - est l'oeuvre la plus longue de Maurice Ravel - elle dure environ 70 minutes. Elle est conçue en un seul mouvement divisé en trois parties enchainées. L'histoire s'inspire du roman grec Daphnis et Chloé, de Longus. Elle conte l'histoire du berger Daphnis, son amour pour Chloé, l'enlèvement de cette dernière par des pirates, l'intervention du dieu Pan et la fin heureuse.
Sur le ballet:
"[...] Il s'agit dans Daphné d'atteindre à la grâce. Pour cela Ravel va faire ressurgir ces mondes où la grâce était incarnée dans l'intimité des moindres choses. Grâce de l'Hellade, mais d'une Hellade transposée et repensée par l'esprit du XVIIIe siècle. Redoublement des grâces dont le Menuet Antique offre un aussi remarquable exemple.
Daphnis et Chloe deviennent alors les tendres figurines de scènes mythologiques mimées dans un jardin à la française.
De cette création d'un monde complexe où Versailles en son déclin se détache en surimpression sur les rivages de l'Ionie, naîtront de surréelles visions qui trouveront leur richesse expressive au sein même de leur ambiguité. Falconet devient le contemporain de Praxitèle. Pourtant, dans cette apothéose de la grâce, aucune mièvrerie ne vient amollir les lignes mélodiques ni altérer la profonde clarté des plans. Ravel sait maintenir dans la peinture des rèves les plus audacieux la rigueur d'une lucidité toujours en éveil. Le musicien contemple et dirige en plein jour son propre songe. L'art contrôle l'artifice et le plie à ses propres lois. C'est ce qui donnera à l'artificiel de ces nymphes, de ces pirates ravisseurs de Chloé, à l'évanescent Daphnis, une qualité supérieure. On pourrait ici parler d'un réalisme de la féérie: la peinture de ces aventures mythologiques prend une telle exactitude, une telle précision dans le tracé de leurs lignes modales qu'il n'est plus de bornes entre la perception et le mythe. C'est alors du Praxitèle retouché par le pointilleux pinceau de Louis David que nous offre Ravel, comme il le dit lui-même dans son esquisse biographique: "Mon intention en écrivant Daphnis était de composer une vaste fresque musicale, moins soucieux d'archaïsme que de fidélité à la Grèce de mes rêves qui s'apparente assez volontiers à celle qu'ont imaginée et dépeinte les artistes français de la fin du XVIIIe siècle."
Ravel devient ici l'Urbaniste du Pays des Fées, dosant avec exactitude les proportions des architectures de l'Imaginaire.
Les choeurs sont traités comme un nouvel instrument: n'ayant aucun rôle narratif, ils viennent seulement ajouter leur timbre particulier à ceux de l'orchestre, donnant par là une certaine épaisseur, une touche plus ferme à la peinture de la fresque.
Ébauchée en 1909, cette partition fut achevée le 5 avril 1912 et jouée pour la première fois au Châtelet le 8 juin de la même année sous la direction de Pierre Monteux. Nijinsky et Karsavina incarnaient Daphnis et Chloé dans un décor de Léon Baks. Le Ballet conquit Paris, les deux Suites d'orchestre conquirent le Monde. [...]" Citation extraite d'un texte de Jean Cotté publié dans l'album FALP 2003 / ASDF 2003.